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 « L'oeil ne se voit pas lui-même ; il lui faut son reflet dans quelque autre chose. » (William Shakespeare)

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MessageSujet: « L'oeil ne se voit pas lui-même ; il lui faut son reflet dans quelque autre chose. » (William Shakespeare)   « L'oeil ne se voit pas lui-même ; il lui faut son reflet dans quelque autre chose. » (William Shakespeare) EmptySam 15 Oct - 18:29

Basculant dans une chute délibérée et interminable, la larme d'eau avait fini sa course sur ma joue et m'avait ainsi sommé de m'éveiller. Tout en m'arrachant une désagréable plainte, mon torse se décolla laborieusement du mur contre lequel il avait passé une partie de la journée, soutenant mon corps assoupi. Humides, mes mains s'étaient un instant posées sur mon visage afin d'en caresser les traits tirés par quelque torture latente, avant d'achever leur course au beau milieu de mes mèches sombres et mouillées. Puis, vides de toute force, mes membres s'étaient laissés tomber mollement sur le sol tandis que le choc de mes os sur la pierre m'arrachait une grimace. A cette époque, le jour déclinait bien plus vite et au fil des minutes, je voyais la lumière s'amenuiser progressivement sans rien n'y pouvoir. Préalablement bloqué au beau milieu de ma gorge, un soupir s'en était finalement échappé alors que je me relevais en dépit de la fatigue omniprésente, et quand bien même mes appuis avaient grand mal à supporter tout mon poids. L'eau ruisselait encore entre les dalles sur lesquelles je marchais et peu à peu, Paris s'éveillait d'une après-midi pluvieuse en cette soirée déjà avancée. Paris. Quitter cette ville était maintenant d'une absolue nécessité alors même que marcher simplement avait l'allure d'une épreuve difficilement surmontable à mes yeux.

A mon passage, les murmures s'éveillaient et bruissaient joliment comme l'avait fait la pluie avant eux. Sans doute avais-je des allures de bête avant l'heure, mais que pouvais-je rétorquer face à cette triste vérité ? La solitude et cette faculté dérisoire à se transformer quelques soirs, pesaient sur des épaules qui n'avaient plus la force nécessaire, ou simplement plus l'envie, de se tenir fières et droites tandis que leur déchéance emportait avec elle le reste de ma carcasse. Crispés et plaqués contre mon ventre criant famine, mes membres antérieurs cherchaient encore à atténuer les quelques frissons qui roulaient sur ma peau, mais ma chemise en lin, mouillée, réduisait à néant leur vain espoir. A l'instar de ma tenue, mes cheveux, encore trempés et dont quelques mèches se voyaient maladroitement collées à mon visage, n'arrangeaient certainement pas l'effet inexorablement effrayant qui semblait découler de l'ombre que j'étais moi-même devenu au fil du temps.

Qu'importe, au fond, ce qu'il advenait de ces pensées perdues car, un jour prochain sans conteste, cette ombre qui effraie tant, se ferait happée par les ténèbres en personne.


« ... mas... »


Semblable à la délicatesse du vent parcourant ces terres maudites, cette voix sifflait inlassablement à mon oreille et alors même que ce grincement infâme me hérissait le poil, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un soulagement minime à l'entendre. Cette phonation avait quelque chose de chaleureux et d'horriblement doux qui me poussait encore à avancer en dépit du poids pesant sur mes épaules. Malheureusement, cette marche épuisante avait peu à peu raison des jambes qui semblaient avoir grand mal à me supporter au vu de mon avancée lente au gré des chemins encore boueux, inéluctable conséquence d'une pluie torrentielle tombée plus tôt. La ville avait fait place à un paysage plus naturelle que j'affectionnais spontanément, mais c'était manifestement insuffisant pour amener chez moi ne serait-ce qu'un rictus maladroit. S'échappant de mes lèvres entrouvertes, un volute de fumée blanchâtre vint un instant perturber ma vision, troublant ainsi la vue de ces arbres hérissés qui s'approchaient peu à peu, leur donnant à ce titre, un charme sinistre qu'ils ne possédaient guère d'ordinaire.

Thomas : « Haa... »

Je ne pus, une fois de plus, retenir ce soupir enroué qui m'échappa alors que mes doigts s'écorchaient presque contre l'écorce rêche d'un arbre majestueux. Il m'avait fallu quitter le chemin et traverser une portion de pré pour atteindre enfin cette forêt au milieu de laquelle je trouvais un certain sentiment de sécurité. L'idée de ne plus pouvoir faire de mal à de pauvres innocents empreints de malchance tout comme la sensation d'être libre et de ne plus être observé non plus, étaient capables d'apaiser quelques temps au moins les souffrances que j'endurais depuis plusieurs années. Cette bien maigre consolation, inextricablement liée à la fatigue, avait vidé mon corps de ses dernières forces et il reposait désormais tout entier contre le tronc du chêne. Débarrassé de pensées inutiles et malvenues pour une soirée comme celle-là, je pouvais maintenant me concentrer sur un tout autre combat, et j'entendais déjà cet appel résonner.


« ... Tho... mas... »


Cette voix patibulaire devenait de plus en plus insupportable et mes mâchoires se serraient à son écho. Il m'était difficile d'endurer cette force encore muette qui embrasait doucereusement mes entrailles, mais en dépit de cette souffrance enivrante, il me fallait encore avancer. Prenant appui sur l'arbre, mon corps s'y était finalement arraché et mes jambes avaient réussi à me supporter quelques temps encore afin que je puisse m'enfoncer dans les ténèbres de cette forêt infinie d'où s'échappait une triste symphonie. Cette mélodie, morne et même lugubre, parvenait à attiser le semblant de rage qui sommeillait en moi, tout comme elle parvenait à m'arracher des larmes que je pensais taries depuis des lustres. Éprouvées par cette marche infernale, mes jambes m'avaient finalement fait défaut et s'étaient dérobées sous mon poids, entrainant avec elles le reste de mon corps qui avait alors épousé mollement le sol erratique de la forêt. A ce contact reposant, je n'avais pu empêcher mes lèvres de s'étirer en un bref sourire, car voilà bien longtemps que je n'avais pas trébuché de la sorte, et cette simple chute me faisait penser à Anne. « Tu es pitoyable » aurait-elle lancé sans détours avant de poursuivre sa route. Pour elle, je me serais relevé, c'était indéniable, mais désormais, je n'avais plus le courage nécessaire pour fournir un tel effort.

Sous mes yeux se tenait une fleur quelconque recouverte encore de perles d'eau scintillantes sous les rayons d'une lune pleine et immaculée. Ce reflet brillant me poussa à redresser la tête lentement afin de contempler cette mère de substitution, impitoyable et éternelle. C'était maintenant elle qui me poussait à me relever alors même que je ne le désirais pas.


« Thomas. »


Basculant dans une chute délibérée et interminable, une larme d'eau avait fini sa course sur ma joue et tel un déclic, ce choc infime avait fini d'attiser les flammes qui brûlaient en mon sein. Un râle douloureux m'échappa alors que mon corps tout entier se tordait de douleur sous l'appel cinglant de la Mère à l'enfant. Toute pensée était annihilée et il ne restait plus qu'un ordre : répondre à cette demande alors même que chaque muscle, chaque os, devenait douloureux. L'abandon, aussi amer soit-il, me paraissait alors envisageable, à supposer qu'il ne soit pas inévitable simplement.

Avec la même difficulté, cette masse cabalistique se redressa en prenant appui sur des membres difformes devenus plus puissants mais néanmoins tremblants. Le souffle saccadé et les poings serrés, je sentais peu à peu une rage infinie m'échapper et il me fallait alors trouver quelqu'un sur qui l'exprimer. Mes yeux l'observaient, Elle, toujours aussi impassible mais incontestablement fière d'avoir fait céder un monstre de plus à son injonction. Le seul moyen qu'il me restait alors, pour manifester la rage que j'éprouvais pour Elle, inaccessible, était de lui hurler toute ma rancœur jusqu'à épuisement. Au cœur de ce hurlement enragé, pourtant, subsistait un brin d'incompréhension et une inépuisable tristesse que je n'osais m'avouer, et qui se manifestait pourtant au gré d'une interrogation : Pourquoi ?

Le hurlement qui m'échappait jusqu'alors n'était plus que grognement alors qu'une silhouette se dessinait au milieu des arbres sinistres. D'abord agressifs, mes sentiments déclinèrent peu à peu jusqu'à me faire paraître docile alors que je fixais cette masse qui me ressemblait tant. Ce loup au pelage aussi noir que l'ébène, démultipliait les questions qui me traversaient l'esprit alors que je m'avançais avec méfiance. Je me surprenais alors à contempler mon reflet, à voir ce que j'abhorrais au plus haut point depuis treize années maintenant. Les questions n'avaient plus d'importance, dès lors, et l'évidence me sautait aux yeux : j'avais là l'opportunité de redevenir l'homme qui avait disparu en se faisant mordre, un soir hivernal. Il me fallait le détruire, simplement.
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« L'oeil ne se voit pas lui-même ; il lui faut son reflet dans quelque autre chose. » (William Shakespeare)

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