Il n'a jamais changé depuis que je l'ai trouvé. Le même regard ferme, ces mêmes yeux en amendes ambrés qui semblent sonder votre âme. Des yeux ambrés, on les oublierait même. Pourtant, c'est rare, et si sublime. C'est la première chose qui m'a marqué quand je l'ai vu. Mêle si cette nuit là j'avais juré les voir scintiller au clair de lune. Même si sa croissance semblait bien plus lente que celle de ceux de son âge, sa taille croissait grandement, et ses épaules s'élargissaient. Il avait une carrure de plus en plus robuste. Et maintenant qu'il a une taille adulte de jeune homme, il ressemble à un guerrier. Quelqu'un qui vit d'un entraînement militaire poussé, alors que je ne le vois s'entraîner qu'aux cours de lames habituels. Peut-être que c'était dans sa nature, ou dans son sang, d'être un combattant. D'ailleurs, je ne l'ai jamais vu échouer ou manquer une passe d'armes; il n'a pas affronté d'épéiste célèbre et redouté, mais je mettrais ma main au feux qu'il réussirait à les déstabiliser.

Ses cheveux, il n'a jamais daigné les couper correctement. Ses longs cheveux lisses d'un noir de jais aussi implacable qu'une nuit sans lune. Il les a toujours taillés au couteau lorsque ceux-ci arrivaient plus bas que hanches. Mais ça reste long, très long pour un homme. Je n'avais pas non plus l'envie ni l'urge de les lui faire couper, je lui avait même acheté un ruban blanc, qu'il se les attache. Parfois en queue de cheval; ou noués, presque à la pointe laissant une masse sombre et obscure recouvrir son dos.

A en croire son choix pour les tissus de ses costumes, il aime les couleurs, mais ternes et sombres. Il opte toujours pour un vert sombre, un gris anthracite, du noir, mais jamais de couleurs vives. Des bottes de cuir, un pantalon en lin, des chemises à jabots courts et discrets, et encore et toujours cette couleur terne par dessus. Et toujours, une touche d'une eau de Cologne.

Je me souviens lui avoir fait confectionner un sabre étrange, à la lame large et recourbée en arc de cercle qu'il garde précieusement noué à sa taille. Un cimeterre, le mot ne me revenait pas. C'est bien ce qu'il s'est fait confectionner. Une arme blanche comme il en existait durant les guerres de Croisades contre l'empire musulman. Il l'avait esquissé lui même sur une de mes feuilles de papier, je n'y connais rien en armes, mais j'avais très légèrement retravaillé le dessin pour que ça ait l'air de quelque chose de concret et de faisable. Ça m'avait coûté une petite fortune, certes, mais je pensais que ça lui ferait plaisir.

Description mentale... c'est toujours dur de faire le portrait moral d'une personne qui jamais ne s'ouvre. Regardez-le vous même. Ou relisez le premier chapitre de ce journal. L'évidence même vous dirait qu'il est renfermé sur lui même, froid et dénué de tout sentiment. Mais moi tout ce que je perçois, ce n'est qu'une façade. Une muraille énorme. Un barrage titanesque étranglant un fleuve de sentiments effroyables. Tout à l'air verrouillé en lui et je ne sais pas si j'aurais un jour le courage de libérer son secret. Mais... peut-être qu'avec le temps je saurai comment lui parler. Tout ce que je peux faire pour l'instant, est de regarder cet enfant scruter la mer, en attendant.

[...]Calme et constance. Aucun talent pour les lettres, mais il apprenait vite. Avant tout j'avais tenté d'estimer son intelligence par le bien de petits casse-têtes usuels. Il observait un objet des heures, sans ciller, jusqu'à ce que ses mains se mettent à s'agiter, et à démêler le problème. Peu importe le temps que ça lui prenait, il démontrait toujours ce même attrait. Il regarde, observe, réfléchit pleinement et ensuite agit. Enfin, il ne prenait son temps que si la réflexion était inévitable. Son instinct était aiguisé, comme celui d'un animal. Je n'ai pas encore réellement travaillé sur son affiliation aux loups, mais il est sûr qu'il en a hérité les sens.

[...] Je n'ai pas encore pu percer le mystère qui l'entourait. Je n'ai pas l'impression qu'il a su m'accorder sa confiance. Il n'a fait que me mentir, toutes ces dernières années. Ses sourires, ses sourires ont l'air tellement faux. Je suis zoologue, pas psychologue, mais je sais reconnaître une fausse expression d'une vraie. Je crois qu'il n'a que trop bien compris le sens du mot "politesse" lorsque j'ai commencé à lui enseigner l'anglais. Il semble que les seules fois où il me souriait, c'était pour répondre à mes attentes implicites. Lorsque je lui offrais un bien, quand je voulais lui faire plaisir. Mais au fur et à mesure que le temps passait, je me rendais compte que je n'y arriverais pas.

[...]C'était la première fois que je voyais un tel prodige... Un homme seul contre un loup enragé qui chasse son bétail a peu de chances de victoires. Ce soir, j'ai vu un de ces loups monstrueux, trois fois plus grands que n'importe quel autre. Un canis lupus pallipes, un spécimen en grande forme, plus trapu et costaud que ses comparses si je mets de côté sa taille... Son pelage roux, rayé de noir, une robe rappelant celle du tigre, propre à certains son espèce. Sa mâchoire semblait dotée d'une puissance disproportionnelle, arrachait membres et côtes de mailles comme un simple vêtement de toile.
J'avais peur, à la fois j'étais heureux. Voilà donc pour ça qu'il se cachait dans les catacombes toutes les nuits depuis toutes ces années...[...]

Je devais partir de Dehli et aller au nord, vers les forêts denses de l'arrière-pays Indien. La route, me semblait longue. Voyager seul, bien que cela était dans mes habitudes, vous faisait ressentir à quel point le temps pouvait s'écouler lentement. Bien sûr, je pouvais mourir n'importe quand. Un tigre, un serpent, ou un loup, pouvait bondir sur moi et me porter une morsure fatale mais, je n'en avais rien à faire. Ce qui me portait le plus à coeur, était de répertorier ce loup. Oui, les anglais avaient parlé de loups, dans la forêt indienne. J'étais fasciné, intrigué, et curieux de savoir s'il s'agissait d'un loup proche de l'européen ou une autre race à part. En faire une esquisse en l'observant de loin, et la comparer à celles que j'avais faites de tous les loups d'Europe.
Enfin, j'aurais un appui valable pour démontrer à cette communauté scientifique incrédule et pourtant très catholique, que les espèces animales diversifiées, et que chacune portait des divergences qui lui permettaient de s'adapter à leur environnement direct... Mais je m'écarte. Ce que je conte ici, n'est ni une thèse zoologique, ni un résultat d'expérience.

Après cinq journées de marche et des nuits de repos, je consultai mon plan de voyage. J'aurais du en ce moment, me trouver dans les forêts de Chandigar mais j'avais du dérouter... Et cette plutôt haute colline devait être le plateau montagneux qui devait surplomber la région que je devait visiter. Malheureusement pour moi, j'avais du marcher un jour de trop, passer à côté de mon objectif sans m'en apercevoir pour me retrouver seul dans les montagnes. Je sais que j'avais encore la jeunesse de mon côté, mais mon corps me rappela que je ne devais tout de même pas exagérer, et que je devais me reposer plus longtemps avant de penser à redescendre.

[...]

Je me demandais ce que cette troupe d'hommes armés était venus faire aussi haut dans la montagne, alors que je n'avais pas vu le moindre village ou château aux alentours. Le défilé militaire avait duré plusieurs bonnes minutes, lesquelles j'avais passé moi, dissimulé dans un buisson. Ils devaient être deux centaines, au moins. Je dus rester immobile tout ce temps, et jusqu'à ce que ma curiosité maladive me pousse à les suivre. Bien sur, je suivais leurs traces, avec plus d'une heure de décalage, histoire de ne pas les rattraper. Je ne suis pas sûr qu'ils auraient été enclins à me laisser partir en vie. Je...

[...]

...ssacre. Tout ce que j'ai vu dans ce petit village n'était qu'un massacre. Tout le monde avait péri sauf un enfant, que j'avais retrouvé dans les bras d'une mère agonisante, seule rescapée de la dizaine de locaux. Son bras manquait, ainsi qu'une de ses jambes, sa poitrine, percée à plusieurs endroits. Elle me parlait, pleurait, je ne comprenais pas ses mots, mais je comprenais ce qu'elle voulait. Son fils, inconscient dans ses bras devait vivre. Je pris l'enfant, elle me tint la main. "Bheriya, Bheriya..." voilà tout ce qu'elle murmurait avant de rendre son dernier souffle. Bheriya, cela voulait dire loup en hindou. Je l'eus appris de moi même pour mes recherches là bas.

[...]

Les mosaïques de leur lieu de culte étaient claires... Des hommes, la lune, des loups. La défunte mère portait les mêmes ornements que la femme sur la gravure... Je n'osai pas le croire, une femme-loup qui la nuit se change n'était que foutaise pour moi. La femme et ce qui s'apparentait à son époux et roi, ressemblaient à des divinités que les gens du village louaient. La preuve que tout n'était que foutaises, tout le monde avait péri ici, villageois, comme soldats. Mais le père de l'enfant ce "roi" ne se trouvait nulle part. Je n'eus d'autre choix que de partir avec l'enfant.

[...]

Ce jour sera comme la date de sa naissance pour moi...

[...]pages manquantes[...]

Je suis maintenant aux portes de la mort. J'ai relu mes carnets, et enlevé les traces de ses différences. Cet enfant qui ne se souvenait que de son prénom, Karthikeyan, est presque un homme alors que moi, j'ai vu ma vie entière défiler. Je ne veux pas que son secret se sache, pas plus que l'existence d'une telle race humaine ne se répande. Je les ai vus, j'ai été face à eux. Ils sont partout. Mais le monde ne doit pas apprendre leur existence.

François, vieil idiot, pensa-t-il. Karthikeyan se leva de son fauteuil, et jeta le dernier carnet de son mentor dans les flammes de la cheminée. William était mort il y avait de cela des années maintenant, ne laissant qu'un étranger aux mains d'un Paris froid et inhospitalier. L'indien se leva, et s'en alla à la fenêtre regarder la lune. Son regard scintilla, mais lui ne cilla. François, le seul détenteur de son secret était désormais parti. Il ne restait plus que lui, contre le reste du monde. Mais, un humain qui n'avait pas le statut d'homme dans un pays comme celui-ci n'avait que très peu d'avenir. Encore heureux, François lui avait tout de même cédé son toit, et un peu d'argent qu'il avait mis de côté, mais pas de quoi assurer une vie entière. Tout ce qu'il pouvait faire, était d'utiliser ses dons innés de chasseur pour retrouver les bandits recherchés par la garde royale, en échange d'un paiement qui assurerait son train de vie.