Ella Van Helsing était assise, face au miroir. Elle essayait de coiffer ses cheveux d’ébène, hérités de sa mère, lady Van Helsing. Tous les amis de la famille, ainsi que les siens, s’émerveillaient devant cette chevelure lisse, noire, épaisse qui recouvrait sa tête. Mais, ce jour-là, elle était lasse et triste. Sa peau blanche était devenue presque translucide et des veines violettes commençaient à ressortir. Sous ses grands yeux marron clair, qui selon son père « lui mangeaient le visage », elle remarqua des cernes bleus, qui lui donnaient une allure fantomatique. Ella lâcha son petit peigne et se leva. Ses bras étaient fins et très blancs. Par endroits, Ella distingua de minuscules plaques rouges qui la démangeaient. Sa robe, en taffetas noir, qui lui seyait la veille, était beaucoup trop grande. La jeune fille s’aperçut à ce moment qu’elle tremblait comme un petit enfant malade. Une vive douleur lui fit porter sa main à son cou. Elle sentit alors deux petits boutons. Regardant dans le miroir, elle vit que son cou, encore blanc et sans aucune marque quelques heures auparavant, portait deux immenses traces rouges qui s’étendaient jusqu’aux épaules, maigres et tremblantes. Tout son corps tressautait. De son nez aquilin coulait du sang. Ella s’assit sur un grand fauteuil, à droite du miroir. Sa gorge était sèche et elle était étourdie. Elle resta assise un moment, attendant la nuit.
Quand sa chambre fut plongée dans le noir, la jeune fille alluma une bougie, qu’elle savait posée à côté du miroir. .En face de ce dernier, se trouvait un coffre qu'elle ouvrit avec une petite clef, cachée dans son corsage. , A l’intérieur du dit coffre, elle prit une fiole contenant un liquide rouge qu’elle s’empressa d’avaler. Ella eut une seconde pour apercevoir deux grandes canines et une bouche sanglante à la place de son reflet….
Ella Van Helsing était une jeune fille, encore enfant et déjà femme. Chez elle, tout n’était que contradictions. Elle pouvait être parfaite, irréprochable et d’une gentillesse sans précédent avec son père, lord Van Helsing. Avec sa mère, elle se montrait cruelle, jalouse et égoïste : elle l’humiliait devant ses invités, lui empruntait des robes et ne les rendait plus ou lui volait des bijoux et les jetaient dans un puits au fond du parc de leur château. La pauvre Lady Van Helsing se plaignait à son époux qui refusait de croire que sa chère petite fille Ella était capable d’autant de cruauté envers sa mère. Il refusa de la mettre dans un institut pour jeunes filles de bonne famille, et cela ravit Ella qui continua ses méchancetés.
Avec son précepteur, elle était sérieuse et travaillait beaucoup. Dès l’âge de six ans, elle sut lire et écrire. On lui enseigna le dessin et un ami de la famille, un noble décédé très tôt, lui fit apprendre le nom d’un grand nombre de plantes. Ainsi, la jeune fille devint très savante et fit la fierté de son père. Bien vite, elle eut des amies, qui venaient prendre des collations dans son château. Dès que les enfants se mettaient à jouer, Ella voulait diriger les jeux et n’hésitaient pas à réprimander durement ses amies qui, bien vite, se mirent à exécuter la moindre de ses volontés. L’enfant se métamorphosa en jeune fille.
Progressivement, elle devint une véritable terreur. Elle essayait toujours de provoquer la colère de son père. Celui-ci hurlait contre son épouse, la pauvre lady Van Helsing qui se repliait sur elle-même. Ella, loin d’en être affectée, quittait le château régulièrement. En effet, elle aimait à déambuler dans le parc la nuit venue. Rien ne lui faisait peur. Elle y rencontrait souvent un garçon de son âge, noble lui aussi. Dans son entourage, on s’était aperçu qu’elle était très séductrice et téméraire.
C’était un soir de pleine lune. Jane de Laz, jeune femme noble d’une vingtaine d’année, était accoudée à son balcon. Elle était épuisée : un bal, en son honneur, venait d’avoir lieu. Elle y avait dansé, chanté et fait bonne figure. Pourtant, celui qu’elle avait espéré y voir n’était pas venu. Mais pourquoi ? Une goutte d’eau roula sur sa joue et ses yeux, deux grands lacs purs, se remplirent de larmes. Se laissant aller au désespoir, elle pleura longuement.
Soudain, elle entendit un bruit. Un bruissement dans les feuillages situés sous son balcon
-« Jane ! »
La jeune femme releva sa tête et vit une silhouette, penchée, comme cachée dans les feuilles. C’était lui ! Lui ! Elle en était sûre à présent.
-« Jane, pardonnez-moi, je n’ai pu venir au bal ce soir car ma mère est tombée gravement malade il y a quelques jours. Je suis resté avec elle »
Jane se pencha :
-« Je vous pardonne lord Van Helsing, montez à présent, mes parents se réjouiront de votre visite. Mais, dans le secret de cette nuit, promettez- moi quelque chose !
-Tout ce que vous voudrez, Jane. Je suis vôtre.
-Promettez-moi, que jamais, jamais vous n’aurez plus d’amour pour une autre personne que moi.
-Dans mon cœur, Jane, personne ne pourra être plus parfait, plus beau que vous. Je vous le promets ».
A ce moment, la lune se cacha derrière les nuages et une fine pluie se mit à tomber.
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-« Quelle merveille, s’exclama lord Van Helsing, notre petite Ella est magnifique !
Les servantes se pressaient autour de lady Jane, étendue sur un grand lit et tenant un nourrisson dans ses bras. L’enfant était venu au monde avec difficulté et tout le monde le croyait perdu. A présent, elle avait ce petit être tremblant dans ses bras. C’était une fille et son époux, lord Van Helsing l’avait nommée Ella.
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Ella Van Helsing se tenait devant sa mère, les poings serrés.
-Ella, qu’avez-vous encore fait ?
-Rien Mère ! Je n’ai rien fait.
- Ella, je suis lasse de vous poser toujours la même question. Une dernière fois, je vous le demande : avez-vous volé un de mes bijoux ?
-Non ! hurla l’enfant » Et disant cela, elle se précipita hors de la chambre et se rendit dans le salon où écrivait son père.
-Père, Mère m’accuse d’avoir volé un de ses bijoux, son collier avec un gros rubis rouge !
- As-tu volé Ella ?
-Non, elle m’accuse à tort ! »
Lady Van Helsing entra :
-Votre enfant n’a rien volé ! Cessez de l’importuner, ce n’est pas elle ! s’écria son époux
-Bien, puisqu’il en est ainsi, je me retire et je cesse d’accuser Ella », dit Lady Van Helsing, résignée.
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Ella était étendue sur un canapé en velours rouge. De temps à autre, elle relevait sa tête, regardait son père qui lisait et se rallongeait. Depuis quelques temps, plus aucun son ne résonnait dans le château. Les serviteurs se déplaçaient sans faire de bruit. Les amis n’étaient plus invités et lord Van Helsing était….Différent. Ella ne supportait pas ce silence pesant. Tout avait commencé trois mois auparavant, lorsque lady Van Helsing était morte d’une pneumonie. Le père d’Ella avait alors cessé de parler et de se nourrir. C’est à peine s’il voyait les gens qui l’entouraient. Plusieurs médecins étaient venus et avaient, au bout de maints efforts, réussi à faire manger quelque peu lord Van Helsing.
Ella, pourtant, ne ressentait rien. Elle avait essayé de ramener son père à la raison mais elle avait échoué. C’est pour cela qu’elle décida de partir, par une froide nuit d’hiver.
La neige recouvrait les arbres du château. Ella avança, une bougie à la main. Elle n’avait qu’une robe et un manteau de fourrure sur elle. Le froid pénétrant la faisait trembler. Elle sortit du parc du château en passant par un trou dans l’enceinte. « Mon père sera affolé demain. Il enverra tout le monde à ma recherche et lorsque je serai retrouvée, il me couvrira de présents ! », pensa la jeune fille. Elle marcha pendant de longues heures sur les routes désertes. Tout à coup, sa bougie s’éteignit. Elle se retrouva dans le noir. Elle s’arrêta. Puis, tout à coup, elle sentit un souffle près de son oreille :
-Ella Van Helsing, seule ? Sans sa cour, son père, ses amis ? »
Ella se retourna et vit un jeune homme habillé de noir. Sa peau était si blanche qu’elle était tranchait dans le noir de la nuit.
-« Comment connaissez-vous mon nom ? »
-Je suis votre ami Ella. Je suis le seul »
La jeune fille, effrayée, se mit à courir ; mais bien vite, une main se posa sur son épaule et l’immobilisa.
-« Ella,….
-Qui êtes-vous monsieur ? demanda Ella d’une petite voix.
-Je suis votre avenir Ella et je connais votre passé.
-Répondez-moi, répondez-moi je vous en prie ! supplia-t-elle
-J’ai répondu à votre question Ella, chère enfant. »
Le jeune homme regarda Ella quelques instants avec des yeux perçants et, soudain, se pencha sur elle en lui tenant la tête d’une main de fer….
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Une chambre, un miroir….Ce sont les premières choses qu’Ella vit. Elle était étendue sur un lit, garni d’oreillers moelleux. La jeune fille mit quelques temps à se réveiller. Elle se leva, regarda la chambre dans laquelle elle avait dormi peut-être très longtemps, mais qui n’était pas la sienne, et se dirigea vers le miroir. Sentant un souffle derrière son épaule elle fit volte-face et vit le jeune homme qu’elle avait rencontré la nuit de sa disparition. Il ne portait plus de grand manteau mais sa peau était toujours aussi blanche. Elle le questionna sur son identité et il lui dit seulement qu’il était français et noble et qu’elle habitait à présent dans son château, situé à quelques centaines de miles de Londres. …………………………………………………………….
- Je vous présente Ella Van Helsing, ma fiancée. Elle vient de Londres, dit le comte.
- Londres ? Londres ? J’aimerai tant m’y rendre ! murmurèrent des jeunes filles conviées au bal qui avait lieu dans la salle principale du château.
Ella portait une robe en mousseline et taffetas rouge. A son cou était un collier de rubis. On s’émerveillait devant sa tenue. Elle semblait heureuse et comblée. Elle virevoltait pendant les danses, ne cessaient de deviser avec de nouvelles personnes. Pourtant, la jeune fille n’avait pas oublié son château, sa famille, son ancienne vie, mais elle venait de décider que tout cela appartenait au passé et qu’elle n’y reviendrait plus.